"Les rêves, c'est rien que des mensonges"

Sandrine Collette est devenue l'une des grands auteurs du thriller français, sinon la première. Mais je ne suis pas là pour vous faire un classement, et parlons plutôt de ses livres, en particulier de son roman post-apocalyptique Et toujours les forêts, paru chez Jean-Claude Lattès, en janvier dernier. 
Je n'avais pas voulu lire le pitch de l'histoire, préférant découvrir, à mesure de la lecture, le sujet de ce roman. Le titre laisse songeur, et rappelle d'autres titres de ses livres (1), comme une continuité certes, mais en abordant plus concrètement ce thème de plus en plus utilisé chez les écrivains français actuels (il était temps depuis Barjavel ou Robert Merle) : le monde post-apocalyptique. 

Le sujet est d'actualité ! N'avons-nous pas basculé il y a quelques mois dans un pathétique Nouveau Monde ? Mais revenons à nos forêts. 

Sandrine Collette préfère vivre loin des villes, et c'est dans le Morvan qu'elle a choisi de s'installer. On retrouve dans tous ses romans, son attrait pour les grands espaces, la campagne perdue, la forêt profonde, sans oublier la mer et les coteaux de vignes. Dans des histoires ancrées dans une réalité âpre, les personnages basculent souvent dans une sorte de conte "moderne"(2), où la fiction bascule, sans que l'on s'y attende, dans une étrangeté tragique. 


Il était une fois, Corentin, un enfant traîné de foyer en foyer depuis son enfance, avant que sa mère (jeune femme volage qui aura en phrase d'adieu : «File, merde.») revienne le chercher pour l'abandonner aussitôt à Augustine, une arrière grand-mère un peu lugubre qui habite le hameau où il est né. La vie triste de Corentin prend un nouveau chemin dans cette vallée isolée au cœur des forêts, mais grâce à Augustine, il reçoit enfin un peu d'amour et de l'éducation, puis la Grande Ville l'appelle pour y faire des études supérieures. Corentin découvre les soirées enfumées aux conversations alcoolisées, aux fêtes et aux amourettes mornes. Ni lui, ni ses amis étudiants, ni personne ne voit le monde tel qu'il est : une terre meurtrie au climat devenu hostile. Le monde implose durant une nuit qui ressemble pourtant à tant d'autres, mais où il ne restera plus rien. Le monde s'est éteint, mais Corentin a survécu par miracle, coincé avec ses amis dans les catacombes où ils faisaient la fête. Quand ils découvrent la désolation autour d'eux, chacun décide de partir de son côté dans l'espoir de retrouver les siens. Corentin, resté seul parmi les cadavres et les vestiges de la Grande Ville, est déterminé à retrouver Augustine. Il prend alors la décision de longer les voies du chemin de fer pour rejoindre les Forêts à pieds. 

On pense bien évidemment au roman de Cormac McCarthy, La Route. Mais c'est bien la plume de Sandrine Collette que l'on retrouve dans Et toujours les forêts. Dans ce roman, les personnages doivent trainer l'histoire tragique de leur famille (ce fil rouge que l'on retrouve dans tous les romans de l'auteur) tout en devant se battre - en même temps que la Nature - pour survivre dans un monde éteint, où la violence des derniers hommes est d'autant plus exacerbée qu'elle a dû repousser la frontière entre l'humanité et l'animalité. Cette Nature, où les arbres dépouillés de tout feuillage sont devenus aussi noirs que l'espoir de Corentin, où le ciel gris ne fait plus passer aucune lumière, où seul le silence oppressant règne... et la peur en permanence. 
La survie d'un chiot aveugle trouvé dans sa pérégrination retient Corentin à ce monde figé dans la flétrissure, et puis il y a Augustine, qui l'attend depuis ce jour où il est parti pour la Grande Ville. Dans cette quête éperdue de survie dans un monde de solitude, Corentin veut voir la vie dans le moindre brin d'herbe dont la pâle verdeur balbutiante contraste avec la noirceur qui règne partout et dans ces petites formes étranges et grises qui s'agitent dans les rivières croupissantes. 

Et toujours les forêts conte une histoire prenante, dont le style cinématographique (3) ne fait jamais l'impasse sur la poésie déchirante d'une Nature quasi mystique, et personnage à part entière du roman.

L'espoir est là malgré tout, qui subsiste dans ces forêts mortes. Les jours et les années passent amenant des heures interminables de rudesses pour Corentin, mais l'expérience de son enfance meurtrie par une mère indigne, lui a permis de se modeler un caractère salutaire pour s'adapter à ce destin sinistre. Dans une nature mortifiée, Corentin va réussir à se créer une famille, où les sentiments seront forcés au départ, faisant fi de tout sentimentalisme évidemment hors de propos dans un monde apocalyptique, mais où peu à peu, telle une nature renaissante, l'harmonie et l'espérance gagneront. 

Et toujours les forêts reste avant tout une histoire de résilience sur fond d'apocalypse à la française

Le roman a obtenu de nombreux prix :  Prix de la Closerie des Lilas 20204,5, Grand prix RTL-Lire 2020, Prix du Livre France Bleu - Page des Libraires, ainsi que le prix Amerigo-Vespucci. 


Quelques citations :

Ce fut la fin du monde et ils n'en surent rien. Il regardait les Forêts et cela lui faisait penser à un dessin à l’encre de Chine, cela lui faisait penser à des squelettes que quelqu’un aurait peints en noir avec la régularité et l’acharnement d’un être malade.  

Quand il s’agit de survivre, on trouve en soi des ressources insoupçonnées, des forces impossibles. Quand il s’agit de survivre, on ne trébuche pas : on ne tombe qu’au dernier moment.  

S'il n'y avait plus d'étoiles. Il n'y avait plus à perdre son regard dans le ciel, il n'y avait plus de quoi rêver.

Les rêves, c'est rien que des mensonges. 

(1) Le roman Un vent de cendres paru chez Denoël en 2015, renvoie lui-aussi avec son titre à une atmosphère de désagrégation naturelle. Son roman paru en 2014, Il reste la poussière, baigne de même dans une ambiance crépusculaire et aride. Le titre de son livre Les larmes noires sur la Terre sorti en 2017, est très évocateur d'un contexte de fin du Monde, où règne la désolation. 

(2) Dans Un vent de cendres Sandrine Collette transporte le conte La Belle et la Bête, dans le vignoble champenois. 

(3) Espérons la préparation à venir d'un film (une série dirons-nous dorénavant) prochainement ! 

Titre : Et toujours les forêts 
Auteur: Sandrine Collette 
Éditeur: JC Lattès 
Genre: Roman 
Année : 01/2020 
Pays: France
ISBN : 9782709666152

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