Passez la porte, et installez-vous dans la Room 237

Oyez, oyez : spoiler en vue ! 

Room 237 est un documentaire de Rodney Ascher étrange et fascinant, qui présente différentes théories ou idées de complots découverts par des fans acharnés, voire des experts et néanmoins cinéphiles, à travers leurs inlassables visionnages d’un classique du cinéma d’horreur, Shining de Stanley Kubrick réalisé en 1980. 

Stanley Kubrick signa avec son film déroutant, une œuvre autant admirée que dénigrée, fascinant les uns, rebutant les autres qui, à l’époque de la sortie du film, criaient au travail bâclé ou accusaient le génial réalisateur du sulfureux Lolita ou du choquant Les Sentiers de la gloire de, s’être « vendu » au Dieu dollar en adaptant un best-seller de l’écrivain le plus lu au monde à cette époque : Stephen King. 


A travers neuf chapitres (segments), où se mêlent faits et fictions illustrant les explications des fans et des experts, le réalisateur donne sa propre relecture du film de Kubrick grâce à un montage élaboré qui donne une vision saisissante de ce que Kubrick montrerait réellement au spectateur. Cette analyse, et par là même, cette nouvelle critique d’un film réalisé il y a 33 ans, nous laisse pantois devant l’évidence des indices « redécouverts » grâce aux nouvelles technologies (le visionnage du film en blu-ray par exemple), les incroyables fondus au ralenti (certains fans passionnés iront jusqu’à superposer le film au début et en même temps par la fin, découvrant des images subliminales troublantes... et explicites !) 


Rodney Ascher emporte le spectateur dans un tourbillon de théories incroyables en montrant les nombreux indices, clins d’œil (parfois drôles ou à connotations sexuelles) distillés dans tout le film par Stanley Kubrick, qui, sous prétexte d’adapter un roman horrifique, n’aurait eu de cesse de donner (restons au conditionnel) l’occasion au public de connaître sa vérité. Car Stanley Kubrick aura montré, dans toute son œuvre complexe, à un public souvent démuni face à des scènes rendues « étranges » par l’abondance de détails atypiques, une vérité pesante et refoulée, comme la vérité cachée derrière la porte d’une certaine chambre 237 d’un hôtel isolé. Dans Shining, les théories et idées de complots obsèdent de nombreux fans, des professeurs, journalistes ou des experts en Histoire, certains s’interrogeant d’ailleurs sur le fait qu’à la sortie du film, personne ne s’était demandé pourquoi Shining laissait-il une telle impression de malaise, voire l’idée d’un film bâclé par les nombreuses scènes incompréhensibles. 

L’histoire étant de facture plutôt classique (un hôtel hanté qui terrorise ses habitants), ainsi, c’est par la personnalité même du réalisateur qu’il faudrait trouver les clés du film : que représentent vraiment les tableaux, les motifs des tapis ou tapisseries, certaines fenêtres à la lumière trop aveuglante, les petites pancartes accrochées sur les poignées de portes, le parcours en tricycle de Danny le petit garçon dans les couloirs gigantesques de l’hôtel, la marque de la machine à écrire de Jack Torrance, le terrifiant labyrinthe (inexistant dans le roman de Stephen King mais imposé par Kubrick, provoquant par là même la colère de l’écrivain) ? Une pile de boites de conserves de la marque Calumet dans la réserve va « frapper » la tête de Jack Torrance par un effet subtil de camera. Certains ont vu dans ce plan le départ d’une théorie incroyable qui formera le premier segment du documentaire. 

Les fans sont insatiables pour démontrer leur théorie, et on ne peut que s’incliner devant la probabilité de certaines d’entre elles, mais aussi la fantaisie des autres. Le titre du documentaire fait bien sûr référence à la terrifiante chambre de l’Hotel Overlook. Mais pourquoi 237 ? (Pourquoi pas, me répondrons certains d’entre vous... réfractaires à toute idée de conspiration). Dans le documentaire, un expert en Histoire a une réponse. Sa théorie représente le second segment du documentaire : pour lui, l’obsession de Kubrick pour l’Holocauste est si violente qu’il n’arrivait pas à réaliser un film sur le sujet. 

Après avoir réalisé Barry Lindon, film esthétiquement parfait, mais plutôt ennuyeux à tourner (Sic !), Kubrick voulut se tourner vers un film plus personnel... et donc plus complexe (le monsieur ayant 200 de QI, la complexité de Shining serait donc à la mesure de sa démesure !). Alors pourquoi 237 ? Je vous laisse comprendre... en regardant le documentaire. De nombreuses métaphores se référent à l’Holocauste, mais aussi à d’autres génocides. Ces indices, images subliminales, plans de caméra, etc.. amènent le spectateur à se sentir mal à l’aise, cherchant à comprendre quelque chose qu’il devrait voir, mais qu’il n’arrive pas à se rappeler. Ce sentiment de mémoire enfouie est symbolisée dans ce plan incroyable des portes d’ascenseurs de l’hôtel ne s’ouvrant pas, jusqu’à ce qu’un déluge de sang s’échappe par les interstices pour nous submerger. Le public (le Monde) refuse de voir, alors les fantômes du passé (l’Histoire) se chargeront de lui rappeler ses actes par n’importe quel moyen ! 
 Dans l’univers cinématographique de Stanley Kubrick (2001 : l’odyssée de l’espace, Orange mécanique, Barry Lindon, Eyes Wide Shut, Full Metal Jacket, etc...) il y a toujours ce leitmotiv d’une société déclinante, d’un peuple soumis, mais aussi parfois d’une famille « désagrégée », où la folie macabre des hommes est toujours sous-jacente. Il y a bien d’autres théories curieuses, dont le fameux complot qui prétend que Stanley Kubrick aurait tourné dans un studio : La Moon Room 237, les images de la mission Apollo 11, le 20 juillet 1969. 

Tous ces segments intriguent par ces démonstrations implacables et parfois amusantes. Le documentaire est alors un parfait complément au film, donnant envie de revoir Shining pour "accepter" enfin l’œuvre à travers le propre esprit d’un réalisateur secret et inclassable.


Titre : Room 237
Réalisation : Rodney Ascher
Scénario : Rodney Ascher
Production : Tim Kirk
Pays : États-Unis
Genre : Film documentaire
Durée : 102 minutes
Année : 2012


Post-scriptum de la Dame : A noter en complément de ce documentaire, le livre de Roger Luckhurts, Shining, très riche en référence, et paru cette année chez Akileos Eds.

Article initialement écrit pour le site Mondes Etranges.fr

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