Le raz-de-marée médiatique, justifié ou non, provoqué par le film The Artist de Michel Hazanavicius a redonné goût au cinéma muet et dansant. Il est d'autant plus dommage que malgré cette frénésie qui semble d'ailleurs perdurer (il suffit de voir le dernier clip de Bob Sinclar (sic) pour s'en rendre compte), personne n'a profité de cette ferveur pour rendre hommage au film Le Bal (Ballando Ballando) d'Ettore Scola, l'une de ses plus belles oeuvres dans un genre cinématographique que l'on croyait révolu.
Le pitch est très simple : dans une salle de bal, des couples se font puis se défont à travers la musique et les évènement majeurs qui ont marqué l'histoire de la France des années 30 jusqu'aux années 80.
Le film Le Bal est une adaptation, par le maître de la comédie italienne, du spectacle musical au titre éponyme, créé en région parisienne par les membres du Théâtre du Campagnol. Le spectacle a eu un grand succès populaire et critique en 1981. Grâce à Ettore Scola ce spectacle est devenu un pur bijou visuel et sonore... et sans un seul dialogue !
1983 : sous le regard imperturbable des membres d'un orchestre miteux attendant de jouer, un vieux serveur s'affaire à passer un air à la mode sur le tourne-disque d'un salon de danse, tandis que des femmes de tous âges, pénètrent, fébriles, dans l'immense salle dont le haut plafond est orné de quelques boules à facettes. Certaines femmes jettent un regard timide à leur reflet, d'autres ont un regard plus assuré sur l'image qu'elles renvoient à l'immense miroir mural devant la piste (1), puis chacune à leur tour, elles font le choix d'une petite table autour de la piste de danse pour s'y asseoir et attendre...
Des hommes arrivent peu à peu, s'assurant eux-aussi de leur apparence devant le miroir, puis d'un pas hésitant pour les uns ou déterminé pour les autres, ils s'installent au bar. Tous les protagonistes sont enfin prêts, s'observant déjà subrepticement. Le bal peut alors commencer, et faire remonter le temps à ces danseurs du dimanche en quête de rencontres amoureuses.
Accompagnement musical : J'attendrai (version disco) - Et maintenant (version instrumentale) - Les plaisirs démodés (Charles Aznavour)
Le film d'Ettore Scola est un film singulier, mêlant à la fois humour et mélancolie dans un tourbillon musical où baignent tous les événements marquants qui ont fait la France du 20ème siècle, mais dans un seul lieu : une salle de bal (2).
La direction artistique du Maestro Ettore Scola (Une journée particulière, Nous nous sommes tant aimés, Affreux, sales et méchants) est impeccable, accompagnée d'un jeu d'acteur irréprochable.
La gestuelle pourtant excessive des comédiens, l'expression des visages souvent poussées à l'extrême, ne font jamais tomber le film dans la caricature mais permettent au contraire de faire oublier au spectateur l’absence de dialogue, mettant ainsi en valeur le personnage principal du film : le bal et son inéluctable orchestre invitant à danser le plus introverti des personnages.
La gestuelle pourtant excessive des comédiens, l'expression des visages souvent poussées à l'extrême, ne font jamais tomber le film dans la caricature mais permettent au contraire de faire oublier au spectateur l’absence de dialogue, mettant ainsi en valeur le personnage principal du film : le bal et son inéluctable orchestre invitant à danser le plus introverti des personnages.
Car c'est bien là le sujet du film : l'Homme, cet être social n'ayant de cesse de vouloir rencontrer ses semblables, provoquant parfois la joie, l'amour, mais aussi la désillusion et le conflit. Plus le film avancera dans le temps, plus ce besoin de convivialité diminuera à mesure que le modernisme s'impose.
Au début du film, les personnages des années 80 ont du mal à aborder leur partenaire d'une danse (voire plus si affinité), puis par un mouvement subtil de caméra, les personnages d'Ettore Scola deviennent alors des couples ivres de bonheur de danser et virevoltent dans les bras les uns des autres : nous sommes en 1936, c'est le temps du Front Populaire et des airs de Java, quand les ouvriers allaient ensemble au bal pour se changer les idées et rire.
La caméra, si statique pendant la scène se déroulant en 1983, est ici, en mouvement permanent, faisant corps avec les danseurs. On ressent leur joie d'être ensemble, on danse avec eux.
Le cinéphile Ettore Scola rend dans cette scène un bel hommage au couple de cinéma Fred Astaire et Ginger Rogers, mais alors que les comédies musicales hollywoodiennes étaient tournées en longs plans séquences avec des chorégraphies très élaborées, dans le film d'Ettore Scola les danseurs sont des hommes et des femmes du quotidien avides de convivialité, et non pas de magnifiques personnages-danseurs.
Ettore Scola rend aussi hommage à Jean Gabin en évoquant le film de Julien Duvivier Pépé le Moko dans une très belle scène (3) où quelques touches de couleurs se mêlent à un noir et blanc rappelant les films de l'époque.
L'expressivité des visages y est poussée jusqu'à l'extrême, comme dans les films muets, accentuant par là même, la sincérité des protagonistes, qui durant cette décennie (les années 30) où l'union populaire était primordiale, croyaient encore aux valeurs sociales et morales.
Accompagnement musical (4) : Le Dénicheur - Encore un petit verre de vin - La Belotte - Java de concert - La valse brune - Au plaisir des bois - Danse du tapis - Les Triolets - Perles de cristal - Parlami d'amore Mariu
Une photo immortalise les danseurs de cette fin des années 30, laissant arriver une période sombre de l'histoire de France : l'Occupation.
Mais bientôt les cloches des églises retentissent annonçant la Libération tant espérée. Les visages s'éclaircissent alors et les sourires font places à des éclats de rire couverts par le tintement assourdissant des cloches. Une farandole de danseurs se forme empêchant le Collaborateur d'y entrer, tandis que le Nazi a fui le bal depuis longtemps. La joie est collective et de nouveau immortalisée par une photographie.
Titre original : Ballando, ballando
Deux protagonistes du bal de cette époque se démarquent bien vite des autres pour former un couple atypique et révélateur du contexte de l'époque : le Nazi (le comédien à l'allure dégingandée Jean-François Perrier) en recherche de plaisirs "à la française" et le Collaborateur (l’inquiétant Marc Berman) prêt à tout pour plaire à l'occupant. Celui-ci "jouera" d'ailleurs la cavalière déjà conquise d'avance...
Accompagnement musical : J'attendrai - Sérénade sans espoir - Lili Marleen - Marcel Azzola, accordéon solo - Fleur de Paris - Tha Ma Ra Boum Di Hé-Ah ! - Les fraises et les framboises - Paso Doble - La plus bath des javas
Cette libération de la France annonce une période de nouveaux plaisirs : les français apprennent le "besoin" de consommer "grâce" à leurs libérateurs américains. Le petit orchestre musette s'est transformé en un splendide orchestre de Jazz qui invite à libérer les corps et amène peu à peu nos danseurs à plus de liberté dans les mouvements (et la pensée) en se trémoussant sur des airs d'un Glen Miller Orchestra à la française (5).
Accompagnement musical : In the mood - Top Hat & Let's Face the Music and Dance – Harlem Nocturne
Puis les années 60 s'installent doucement dans notre salle de bal.
Puis les années 60 s'installent doucement dans notre salle de bal.
On vient parfois en famille pour y passer le dimanche après-midi, mais bientôt les adolescents voudront "s'amuser" loin du chaperonnage de leurs parents, et l'arrivée et l'influence des premiers Blousons noirs ne va pas arranger le conflit qui commence à se créer entre les enfants et les parents de ce début des années 60.
La recherche de son petit plaisir personnel, qui répond ainsi au besoin toujours grandissant de consommer plus et posséder des biens matériels, trouve écho avec l'arrivée fracassante du rock 'n' roll. Les jeunes danseurs déchaînés s'imposent sur la piste, écartant les vieux couples bien dépassés par ces nouvelles danses "fougueuses".
Accompagnement musical : La vie en rose - Amour, castagnettes et tango - Si tu vas à Rio - Brazil - El Negro Zumbon – Tutti Frutti
Après la sempiternelle photographie-souvenir, la salle de bal se retrouve plongée dans l'obscurité. Avec les événements de mai 1968 le silence règne dans la grande salle de bal, que seules rompent les sirènes ininterrompues des fourgons de police dans la rue. De jeunes manifestants ont investit le lieu. Allongés sur le sol de la piste de danse et utilisant le mobilier pour se protéger des bris de verre, ils écoutent le chaos à l'abri dans la salle de bal. Les étudiants de mai 1968 ne veulent pas danser, ils échangent des regards pleins d'espoirs et de peurs, espérant un changement radical à cette société de consommation de masse... tout en découvrant les effets de la marijuana.
Après la sempiternelle photographie-souvenir, la salle de bal se retrouve plongée dans l'obscurité. Avec les événements de mai 1968 le silence règne dans la grande salle de bal, que seules rompent les sirènes ininterrompues des fourgons de police dans la rue. De jeunes manifestants ont investit le lieu. Allongés sur le sol de la piste de danse et utilisant le mobilier pour se protéger des bris de verre, ils écoutent le chaos à l'abri dans la salle de bal. Les étudiants de mai 1968 ne veulent pas danser, ils échangent des regards pleins d'espoirs et de peurs, espérant un changement radical à cette société de consommation de masse... tout en découvrant les effets de la marijuana.
C'est le début de la recherche de nouveaux moyens d’évasions, ainsi la mode hippie et la vague érotique des années 70 qui en découleront, font leur chemin.
Plus qu'un film muet et musical, Le Bal à cette force de se passer de dialogue au travers d'expressions corporelles et de différents genre musicaux. Ainsi la salle de bal devient le témoin de l'Histoire, c'est bien elle le véritable personnage principal du film.
Accompagnement musical : Michelle
Après s'être essayés à la recherche de nouveaux plaisirs, nos danseurs se retrouvent au début des années 80.
La piste semble peu occupée, seuls un ou deux couples dansent d'un air absent. La lumière est très tamisée et les quelques boules à facettes éblouissent plus qu'elles n'invitent à la fête. Des hommes et des femmes déambulent chacun de leur côté sans trop savoir quoi faire. Les crises économiques successives ont assombri le climat de l'époque... jusque dans la salle de bal. On se réfugie dans sa solitude, ne recherchant plus l'autre. Communiquer devient alors très difficile, voire laborieux et le plaisir narcissique est roi : certains dansent devant leur image qui se reflète dans l'éternel miroir, d'autres gesticulent devant quelques danseurs ou danseuses pour essayer d'attirer l'attention.
Parfois ça marche...
Bientôt tout le monde rentre chez soi, rarement accompagné.
Ainsi le bal s’achève sur un air triste de trompette, tandis que le serveur débarrasse quelques verres sur des tables rapidement délaissées.
Accompagnement musical : Que reste-t'il de nos amours (version instrumentale)
(1) La caméra prend la place du miroir, ainsi chaque personnage regarde le spectateur pendant qu'il vérifie son allure vestimentaire ou se recoiffe.
(2) La salle de bal a été entièrement construite dans les studios de Cinecittà.
(3) Un Jean Gabin vieillissant "apparaîtra" de nouveau dans la scène des années 6o.
(4) A noter : c'est dans la période des années 30 que la programmation musicale est la plus riche, contrastant par exemple avec la platitude du seul titre des années 80.
(5) Cette période années 40-50 plaira beaucoup, je pense, aux amateurs et amatrices de la mode vestimentaire style Pin-up, n'est-ce-pas Miss Sunalee ;-)
(5) Cette période années 40-50 plaira beaucoup, je pense, aux amateurs et amatrices de la mode vestimentaire style Pin-up, n'est-ce-pas Miss Sunalee ;-)
Réalisation : Ettore Scola
Scénario : Ruggero Maccari, Jean-Claude Penchenat, Furio Scarpelli et Ettore Scola (sur une idée de Jean-Claude Penchenat).
Production : Mohammed Lakhdar-Hamina et Giorgio Silvagni
Musique : Vladimir Cosma
Photographie : Ricardo Aronovich
Pays : France - 1983
Genre : Historique, film musical
Durée :112 minutes
En effet ! Tu m'as donné envie de voir ce film qui est malheureusement emprunté pour le moment dans ma médiathèque...
RépondreSupprimerC'est une personne qui a bon goût si elle a fait cet emprunt :-)
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