La Compagnie des loups de Neil Jordan est un film ambitieux et complexe sorti en 1984, inspiré du livre féministe d’Angela Carter, la scénariste du film. Dans son récit, une femme très âgée (l'actrice Angela Lansbury) invente une suite aux contes de Charles Perrault et des frères Grimm en mettant en avant les femmes, faisant fi des valeurs classiques attendues dans ces contes pour enfants.
Rosaleen est une toute jeune fille en proie aux troubles des prémices de l’adolescence. Elle trouve refuge dans sa chambre et, sous l’œil protecteur de ses peluches et poupées, s’enfonce inlassablement dans un rêve troublant. Elle franchit alors chaque étape l’amenant aux confins de son inconscient (comme Alice au Pays des Merveilles) pour se retrouver aux abords d’une forêt dense et crépusculaire.
Devenue petite paysanne, Rosaleen vit paisiblement dans un hameau médiéval entourée de ses proches qui veulent la protéger de sa témérité candide et des dangers qui rôdent dans la forêt.
Sa grand-mère, telle la grand-mère du Petit Chaperon Rouge, tente sans cesse de la convaincre des risques à venir si elle ne se méfie pas suffisamment de l’inconnu en lui racontant des histoires étranges, peuplées de jeunes femmes et de créatures mystérieuses…
Ainsi, à partir du rêve de Rosaleen, le spectateur et la protagoniste elle-même, vont vivre une ramification de contes et légendes dont les thèmes principaux sont la peur de l’inconnu et la perte de l'innocence, représentés dans le film de Neil Jordan par le loup, personnage récurrent du film, dangereux et séduisant à la fois.
Mais on est bien loin du Loup-garou de Londres ou plus récemment du personnage de Jacob Black dans Twilight !
La Compagnie des loups évoque plutôt le cinéma onirique comme Wolfen, Legend ou les classiques de Disney.
Les non-dits, si chers à la société britannique toute faite de réserve, sont très bien évoqués avec les proches de Rosaleen qui ne savent pas comment répondre aux attentes « innocentes » de la jeune fille.
Chaque plan travaillé (Neil Jordan a souvent collaboré avec John Excalibur Boorman), chaque détail dans les costumes, couleur ou jeu de lumière dans les feuillages de la forêt et à travers les petites fenêtres du hameau renforcent cette impression de surréalisme pendant tout le film : rêve, réalité puis peur, attirance. Ce réalisme britannique est aussi très bien rendu avec les couleurs sombres et la lumière douce qui rappellent les œuvres du peintre paysagiste anglais John Constable.
La dualité est aussi magnifiquement évoquée avec cette créature noble et féroce qu’est le loup.
Ainsi chaque plan où apparait le mystérieux animal est attendu et redouté tant par Rosaleen que par le spectateur : tantôt solitaire, régnant sur le monde de la nuit (symbolisant l’homme individualiste et libre), tantôt créature cruelle et implacable rassemblée en meute sans pitié pour sa proie (le groupe, symbolisant la force et l’asservissement du plus faible).
Quoi de plus naturel donc pour représenter cette dualité « attirance-répulsion », que cette brève apparition du démon (sulfureux ?) dans une très belle scène surréaliste où, dans une Rolls-Royce d’un blanc immaculé, l’acteur anglais Terence Stamp (Histoires extraordinaires, The Collector…) prête à l’Ange Noir les beaux traits fins de son angélique visage.
Neil Jordan n’a jamais cédé à la psychanalyse facile ni à l’érotisme gratuit, préférant suggérer toute la sensualité que peut provoquer le rêve d’une jeune fille en fleurs et son éveil à la sexualité.
Cette Compagnie des loups, malgré des effets spéciaux quelques peu datés, (Christopher Tucker, The Elephant Man, La Guerre du feu, dira lui-même avoir été déçu par certains plans sur les transformations de ses mi-hommes, mi-loups, pourtant originales à l’époque) mérite pourtant d’être (re)découverte à l’heure où les vampires et loups numérisés sont toujours autant acclamés par le grand public.
Post-Scriptum de la Dame : A noter la très belle bande originale du film composée par George Fenton qui nous plonge dès les premières images dans un rêve éveillé.
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